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vendredi 9 septembre 2016

Trophée Anonym'us : Nouvelle n°1 "Trachemys scripta elegans"

Voila la toute première nouvelle en lice ! Souvenez-vous nous ne connaissons pas l'auteur (son nom sera révélé plus tard)...Je vous laisse la lire, puis ...
J'attends vos commentaires, vos impressions, vos suppositions sur le nom de l'auteur ..Bref, cet article est vivant et m'aidera surement pour mon vote final. Commentez, libérez -vous !!!!

Pour souvenir : les règles du Trophée ! -  lancement



Trachemys scripta elegans

"Tous les gosses ont eu une tortue à un certain moment. Pourtant personne ne peut garder une tortue. Elles s’acharnent, elles s’acharnent, et puis un beau jour, hop, les voilà parties...quelque part, on ne sait pas."
           Steinbeck – Les raisins de la colère

Ce matin, Jo, 45 ans tout rond, enfile pour la première fois de sa vie un string, couleur chair, pur

coton. Elle contemple son cul dans le miroir sur pied de la salle de bain.

Le pétard bien dans l’axe, la ficelle sur la raie, elle dandine du derrière un bout de temps.

Vulgaire ! C’est moche !

Un début de culotte de cheval, un peu de peau d’orange sur les cuisses, tout cela ne semble pas

de première fraîcheur... Mais, paraît que ça plaît aux hommes !

La « petite loueuse » lui avait conseillé le string : « Avec ce genre de petite robe moulante,

cintrée, c’est mieux de... Vous voyez quoi ? La marque de la culotte, c’est pas terrible. »

Jo avait bien évidemment essayé avec sa grosse culotte. Sans la culotte. Verdicts : l’aut' pétasse

avait raison – la marque de la culotte, c’est pas top !

Saloperie !

Toute cette prise de tête, c’est bien un truc de phallocrates !

Jo, Joannie, de son vrai prénom, porte au quotidien des pantalons, des Doc Martin’s, des pull-
overs larges et surtout ne fait rien pour correspondre à ce qu’on attend d’une femme.

Une femme, ses formes ? Les canons de beauté ? Connerie !

Jo ne s’aime pas.

Déjà, sa poitrine, elle ne la supporte plus. Ces nichons sont pas droits et puis pas gros, tombent

un peu. Ses mamelons sont larges et trop rouges, ses tétons comme des boutons de chair... ses

putains de seins, elle les redresse, tire sur sa bretelle de soutien­ gorge. C’est pas mieux, elle les

trouve toujours moches. Puis ses hanches... trop je sais pas quoi encore...

Elle tapote son ventre, un léger bourrelet, une bouée même. Le constat tombe, c’est pas terrible.

Jo a beau se regarder dans la glace, rien ne lui convient.

Y’a du boulot pour ce soir ! C’est pour cela qu’il faut s’y mettre maintenant ! Ravalement de

façade, lisser les rides, bombarder de rouge à lèvres.

Elle tartine.

Elle donne du volume à ses cheveux, cherche une coiffure : tasse en arrière, forme une vague sur

le côté. La tignasse brune est épaisse, mais trop courte pour vraiment en faire quelque chose.

Sa maman, elle, si féminine, lui avait pourtant donné des conseils de bonnes femmes. « Tu

détournes le regard, tu imposes un beau décolleté, des fesses bien moulées, de belles chaussures

avec des talons hauts. Faut juste un peu tricher. Les bonshommes ont le regard qui les mène. Faut

savoir faire diversion. »

Des trucs et astuces que Joannie pensait bien inutiles jusqu’à aujourd’hui.

– Allez, s’encourage Jo qui retire sa grosse culotte vert pomme : épilation !

***

Le motif de ce rendez-­vous ? Une histoire de cul défoncé.

Jo avait percuté Freddy. Un accident de voiture, la veille au soir, en plein centre ­ville.

« Je suis désolée, je regardais ailleurs.... ».

Un pare choc par terre et pas mal de taule froissée. Le pauvre gars a tourné autour du cul de sa

grosse bagnole. Pas possible de repartir. Freddy se trouvait bon pour un aller direct sur la

dépanneuse. Son SUV Mercedes option tout compris, une imposante et rutilante bestiole. Le

carrosse à trente plaques, l’intérieur cuir et GPS intégrés au tableau de bord en bois essence de

cerisier inutilisable.

Le beau Freddy a rapidement capté qu’il allait devoir bouffer du papelard à triple exemplaire

carbone et se tanner « un expert de mes couilles » pour les prochains jours.

Terminé le numéro de branleur friqué.

Joannie, un peu cruche, n’avait plus qu’à pleurer sa vieille Clio bleu clair cabossée, son capot

enfoncé.

Elle était en tort, bien évidemment.

Elle s’en voulait, s’insultait même : idiote !

Pourtant Freddy n’a même pas moufté, même pas disjoncté. Le gars est resté impassible, limite

effrayant. Il a fixé « la petite madame » un moment, de bas en haut. Puis il a laissé échapper un

large sourire, celui du carnassier :

– Pas grave.

La réaction fut inattendue. Voir sa bagnole défoncée comme cela aurait tendance à irriter

n’importe quel mâle. Malgré tout, le bonhomme ne semblait pas insensible au charme de Jo.

– Je suis vraiment...

La « petite madame » s’excuse encore, bredouille, s’agace, fouille son énorme sac à main en

tissu rose, cherche ses papiers, va contacter immédiatement son assureur, déballe sur le capot tout

un tas de babioles avant de mettre la main sur son portable, son certificat vert...

Lui, ne bouge pas, la regarde, cool.

Joannie vise enfin son interlocuteur. Frédéric s’entretient, bel homme pour sa cinquantaine bien

sonnée, costume taillé sur mesure, des mains comme sa coupe de cheveux : soignées. Une paire de

Ray­Ban miroir pour couper le visage.

– Je peux vous inviter au restaurant ? Cela tombait comme ça, brut de décoffrage. « Efficace » il

dira.

– Quoi ? gouaille Jo, désarçonnée

– On pourrait se retrouver dans un petit établissement en centre ­ville, « Au moderne » ?

Elle connaît.

Le boui­boui est un établissement de luxe, quatre étoiles, avec sa carte à trois cents balles le

hors­ d’œuvre. Le genre de relais restaurant qu’on ne fréquente pas sans avoir sa table. Surtout du

jour au lendemain.

– C’est vraiment très gentil, mais je...

– Je payerais ! rassura Freddy.

Il insista, genre le gars un peu lourd et rajouta une réplique facile, digne d’un beauf : « se faire

rentrer dedans par une belle fille comme vous... »

– C’est que...

– Vous êtes obligée sinon vous ne me soutirerez aucune information ! Il plaisante maintenant.

Elle finit par craquer.

– De toute façon j’ai votre plaque.

– C’est moi la victime ! s’offusque gentiment alors Freddy. C’est moi qui devrais m’inquiéter !

Vous pourriez vous enfuir, j’ai même pas votre nom ! Vous ne pouvez rien me refuser ou je vous

balance aux flics et au tribunal dans la foulée ! » Il a de l’humour.

Cela doit la rassurer, car Jo accepte. Elle lui lâche même un sourire.

***

Une tenue de soirée louée pour l’occasion. Paraître belle, genre Cendrillon. Une location de robe

jusqu’au lendemain 245 €, avec une caution de 700 € et un passage obligatoire pour un pressing à

75 €.

L’ardoise s’annonce salée.

– Du Guerlain !

– La beauté a un prix. Jo commence par repousser les frusques au tissu si précieux, la dentelle

tressée à la main. Refroidie par le tarif annoncé...

La loueuse insiste de suite :

– C’est pris en charge.

La fille, celle qui conseille des strings à ses clientes, lui explique rapidement :

– Monsieur Sartone nous a prévenus de votre venue.

C’est « Freddy » qui avait conseillé la boutique à Jo. « Vous y allez de ma part ».

– Monsieur est un véritable gentleman, lance la fille, un brin envieuse.

Traduction : Freddy sort le grand jeu.

Joannie est mal l’aise, ce genre de cadeaux... Elle hésite, devrait refuser, payer.

– Je vais vous prendre quelque chose... lance ­t­'elle alors à la volée. Joannie cherche.

– Quoi ?

– Le string. Je vais prendre le string.

– Vous faites un excellent choix !

La vendeuse lui lance un regard de connivence appuyé. Comme un message fille à fille et

emballe minutieusement la minuscule culotte dans un sac à part.

***

Ce fut comme une apparition avait dit l’autre. Mais pas comme l’autre aurait pu l’imaginer.

Joannie a débarqué justement vers vingt heures et de poussières, dans son habit de lumière

échancré, gauche, enchâssée sur ses hauts talons vernis, sa démarche approximative.

La démarche ne triche pas.

Freddy se précipite au­ devant de la belle, tire la chaise, propose à la princesse d’un soir de

s’asseoir. Jo atterrit, la trajectoire est approximative, à bout de souffle, le teint rouge pivoine.

– Vous êtes splendide

– Vous y êtes pour beaucoup, relève Jo qui s’écrase sur la chaise d’en face.

Frédéric Sartone, Freddy (c’est comme cela qu’il souhaite que Jo l’appelle) est arrivé en avance

au restaurant. Beau gosse. Costume rital taillé sur mesure, des pompes impeccables, une paire de

santiags en cuir de croco, « j’adore les reptiles ! ». (Il lui expliquera plus tard pendant le repas que

ces groles mexicaines coûtent une fortune en taxes). Le top du chiquissime !

Freddy s’installe en face.

Lui apprécie l’effort qu’a porté la belle à se rendre resplendissante. Il ne louche même pas sur le

décolleté.

Un serveur s’approche aussitôt :

– Un apéritif ?

– Oui ! la belle saute sur l’occasion.

Il lui faut bien cela pour surmonter le trouble de cette situation.

– Quelque chose de fort !

Le loufiat lui propose deux trois cocktails à la mode, il parle avec ce ton précieux qu’ont les

aristocrates dans les feuilletons télés.

Cela ne cause pas à Jo :

– Je prendrais bien un Jack Daniel’s, sec. Elle se réfugie sur une valeur sûre.

Le pingouin se tourne vers « monsieur ». Le choix quelque peu « populaire » paraît convenir à

Freddy qui commande la même chose. Allons­-y pour un whisky.

Le repas passe pour un monologue. Frédéric parle beaucoup, de lui surtout :

– Des prêts... je prête de l’argent, je négocie des projets d’investissements importants,

j’accompagne des entrepreneurs.

Jo écoute, paraît intéressée. Elle touche à peine à son homard, préfère ruminer sa salade.

– Vous avez quelqu’un ? attaque Freddy, avec aplomb, entre deux gorgées de pinard.

Une question au sous­ entendu à peine voilé.

– J’avais.

La réponse tombe vite, comme pour passer à autre chose.

– Célibataire, alors ! Freddy souffle. La belle est libre.

Jo lève son verre, s’enfile le fond et tend le bras pour recharger. Elle a les lèvres graisseuses de

vinaigrette à l’huile d’olive de violettes.

Le dessert enchante les papilles plus que les yeux. Le doigt de fondant chocolat dont la précieuse

fève de cacao a été torréfiée à cœur et les larmes de vanille des îles je ne sais quoi, « une tuerie »

en bouche. La gâterie est achevée en une seule bouchée.

Dommage, y’avait un petit goût « de reviens­-y ».

Jo finit par lâcher sa serviette. Passons aux choses sérieuses !

– Pour le constat ? On le dresse quand ?

La belle n’en a pas perdu le nord.

– On pourrait continuer notre discussion chez moi ? Freddy ose. Après tout, les signaux

semblent au vert.

– J’ai juste besoin de votre adresse....

– Justement. J’habite en face, si vous voulez... Freddy espère, tente sa chance.

Jo ne semble pas contre :

– Pourquoi pas ! lance la belle un peu pompette.

***

Freddy sort sa carte Gold, paye en quelques secondes. Joannie passe devant, roulant

méchamment du derrière. Ce foutu string commence sérieusement à la démanger...

Une bande de majordomes accompagne le couple à la sortie, dans un ballet de politesses :

« J’espère que le repas était à votre convenance »... « nous vous souhaitons une bonne soirée,

Madame, Monsieur ».

La porte claque.

Le bruit de la rue, l’air frais viennent apporter comme un brusque retour à la réalité.

Freddy traverse la route, lui propose de le suivre.

Ils termineront dans un loft spacieux, au dernier étage d’une tour prestigieuse de la ville à deux

pas du « petit restaurant ».

Un ascenseur privatif dessert le T6 grand standing de Freddy. Cela se confirme, le gars se

complaît dans le luxe.

– C’est grand !

– Je vais vendre dans un mois, pour acheter une maison dans le sud, je voudrais profiter du

soleil.

Une villa, il précise rapidement. Un détail.

Joannie tourne dans l’appartement, profite de la vue panoramique. Les vitres blindées donnent

une impression de déformation, les lumières de la ville scintillent, posées comme des guirlandes

sur un ciel noir sans lune.

Jo tourne les talons, se bloque alors sur un vivarium impressionnant. Une tortue se traîne sous

une lampe chauffante, dans un décor en plâtre moulé inspiré d’une marre.

Joannie y reste un long moment, semble même parler au reptile. Elle tente d’y passer un doigt.

Freddy s’approche. Il a fait tomber la veste. Ouvre le col. Il prend ses aises. Observe l’animal

avec dédain :

– Un trésor de guerre, il me commente pas plus.

Jo se plie pour le regarder de plus près. Elle observe la couleur rougeâtre qui grignote les tempes

du reptile, son plastron de couleur jaune et sa carapace vert marron à brun.

– C’est une Tortue de Floride.

Freddy est surpris :

– Vous vous y connaissez en tortue ?

– Un peu.... Vous savez qu’elles peuvent vivre plus de cinquante ans ? Elles sont rares, interdites

à la vente en France, souligne alors Joannie. Qui ne décolle pas ses yeux de la vitre. Elle en a

même un léger frisson.

Freddy n’écoute plus. Il préfère se réfugier vers le bar calé dans une bibliothèque imposante. Il

tire sur un levier, apparaît alors un frigidaire. Il y pioche une bouteille de champagne de grande

marque qu’il avait – par anticipation – mise au frais.

– Je peux même vous dire qu’elle a vingt ­trois ans, lance la belle.

Freddy ne relève pas, il déchire la robe en aluminium qui couvre le bouchon du péteux.

– Vingt­ trois ans et deux mois....

L’autre s’énerve, n’arrive pas à démêler le fil du fer du bouchon. Ce pauvre idiot ne voit pas

Joannie sortir un marteau de charpentier de son sac à main. L’outil est neuf.

– Vingt trois ans, c’est justement à cette période que j’ai offert à mon mari cette tortue.

Le bouchon pète, une giclée de champagne part. Freddy scotché, vient de comprendre.

Jo est devant lui.

– Vous vous souvenez de ce que vous faisiez il y a six ans ? Vous aviez prêté de l’argent à mon

mari. Il tardait à rembourser. Vous l’avez trouvé. Vous avez pris notre tortue et vous lui avez laissé

une semaine pour « rassembler l’oseille ». Au passage, vous l’avez tellement tabassé avec ce

même genre de marteau qu’il n’a pas survécu.

Freddy n’a pas le temps d’éviter le premier coup qui lui arrache la mâchoire, éclate une douzaine

de dents et lui emporte la moitié du nez.

– Monsieur Freddy Marteau !

Le corps du pauvre type s’écroule lentement, d’un bloc. Le temps pour la belle de s’approcher et

de s’acharner encore et encore.

2 commentaires:

  1. Bonjour et merci pour cette première nouvelle. J'ai pris plaisir à la lire. Un début qui surprend, brut mais si réaliste que l'on a envie de connaître le sort de Jo. Puis tout s'enchaîne, fluide et c'est le souffle coupé que j'ai terminé ma lecture. Un grand j'aime��


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    1. Bonjour Béatrice :) En effet une fin dès plus surprenantes ! J'ai aimé cette description de la femme qui ne s'aime pas !! Très réaliste ! Ce trophée commence fort ! Merci pour ton message :)

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