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DELIA
FACE AU PORT
First time I shot her I shot
her in the side
Hard to watch her suffer
But with the second shot she died
Johnny Cash
Delia
marche dans la rue Fesch. Elle porte aux pieds une paire de richelieu vernis
noire avec un talon de 9,5 cm. Ce ne sont que des Repetto mais elle prend
garde aux interstices des pavés et aux merdes de chiens qui constellent le
passage de la rue piétonne et pourraient abimer ses talons. Une vague de
touristes retraités arrive de face. Malgré ses 45 kilos et son mètre soixante,
Delia ne se poussera pas, la vague devra s’ouvrir devant elle. Ça parle
allemand et, en dehors de Marlène Dietrich, Delia vomit les Allemands sans
savoir pourquoi. Comme une allergie. Le temps est lourd. Les journées d’automne
à Ajaccio sentent souvent les angoisses étouffées que le soleil n’a plus la
force de masquer. Il y a dans le ciel des nuages bouffis et humides. Si Delia
pensait, elle ne se dirait rien de plus en les observant que :
– De
gros Arabes poisseux au hammam.
Delia
n’est pas une jeune fille apte à penser et cela lui rend bien des services au
quotidien. Exister lui importe peu, elle vit et elle brille quitte à marcher
dans le vent mais jamais dans la merde et toujours en chaussures qui coûtent
une blinde. Là, quand même, les richelieus pèsent autant que des pompes de
chantier. Il fait lourd. Delia ôterait bien sa fine veste de cuir mais la
garder à la main ou sur le sac casserait sa silhouette. Les couleurs sombres
mettent ce qui reste de son bronzage estival en valeur. Elle porte un shorty et
un soutien-gorge push-up Princesse tam.tam, un serre-taille Aubade. Si elle
était dodue, la sueur inonderait l’ensemble d’auréoles sombres comme le sang.
Delia est gaulée à faire pâmer les voyeurs d’Instagram. D’un gracieux mouvement
de tête, elle balance sa chevelure blonde sur son épaule gauche. Elle compte
plus de 14 K Instagramers parce qu’elle a la taille fine, un beau gros cul
qui doit bien peser le tiers de son poids total, de longs cheveux et la science
photographique pour choisir l’angle de vue de son corps ou des paysages corses.
Les gens adulent le sexe et l’argent ouvertement aujourd’hui. Plus besoin de se
cacher derrière un quelconque culte païen.
Les
retraités sont descendus d’un bateau de croisière bleu marine qu’elle a vu dans
l’enfilade de la rue des Trois Marie. La perspective en plongée le place
au-dessus des immeubles de la vieille ville. C’est monstrueux à bien y
regarder. Beau et terrifiant à la fois. Quant à la vague compacte au milieu de
la rue Fesch, elle n’est qu’agaçante et ne laisserait plus un pélot dans les
commerces à en croire les patrons. Comme dirait sa mère qui lâche des milles et
des cents chez ses amies boutiquières, la saison durerait toute l’année, elles
trouveraient quand même à se plaindre. Delia n’ira finalement pas au contact de
la vague, elle souhaite faire une entrée la moins chiffonnée possible. Virer
dans la rue de gauche, l’air est plus épais à avaler qu’une coulée de radium ou
une giclée de sperme chaud au fond de la gorge. Ange-Ma » adorait qu’elle
avale et elle lui jouait bien qu’elle adorait ça elle aussi. Tout dépend du
contexte, comme aujourd’hui. Delia pense à la mère de sa mère qui crachait sur
sa propre descendance qu’elle ne se serait pas corrompue pour deux œufs avec
les Italiens pendant la guerre. En échange de quoi, elle s’est prostituée toute
sa vie dans la sphère domestique des petites compromissions quotidiennes. Les
chiennes ne font pas des chattes. Delia doit subir à fond pour garder la place
sur le piédestal ajaccien. Elle arrive à la porte cochère de l’immeuble de
Santu.
La
porte blindée donnant sur le palier s’ouvre quand elle appuie sur la sonnette
et elle s’avance dans un petit vestibule face à une seconde porte en bois
massif. En haut à gauche, elle aperçoit une installation vidéo.
–
Santu, ouvre-moi.
Il
ouvre la porte en grand.
–
Delia. T’ouvrir ? Mais bien sûr, ma chérie. Entre.
Elle
avance d’un pas. L’appartement est nu, comme Santu qui bande déjà, très à son aise.
Delia dévie son attention vers la vue de l’appartement sur le port de commerce
d’Ajaccio. Le bateau de croisière des retraités schleus de la rue Fesch est à
quai devant les immenses baies vitrées du salon. C’est un énorme Mein Schiff.
Le père de Delia, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie, dit
toujours à propos de ce bateau : « Grattons-nous le cul, ça prolonge
la chance. Demain, les Schleus du Meineuh Chip vont larguer leur fric dans la
ville. » L’appartement de Santu est au quatrième étage et il semble encore
quelques niveaux plus bas que le pont supérieur du bateau. Quelques
croisiéristes sont au bastingage. Loin, noirs et flous comme des oiseaux de
malheur. Delia ne saurait dire à quel point, à moins qu’elle se trompe. Son
jugement est biaisé. Elle ne sait pas où ni comment regarder alors elle scrute
la pièce, fait comme si tout était normal, ce qui amuse beaucoup Santu. Aux
murs du salon, huit reproductions grand format de photographies d’Araki. Toutes
sont des shootings de femmes japonaises ligotées et soumises. Delia a entendu
dire que lors de séances, les femmes pouvaient se mettre à pleurer, soulagée de
s’abandonner, en éclipse totale de leur psyché. Normaliser la déviance est la
protection des peureux. Le salon est meublé d’un écran plat 65 pouces, d’un
canapé quatre places en toile beige, d’une table basse carrée de plus d’un
mètre de côté, d’un très beau tapis oriental. Sur la table basse, trois
cordages en fibre naturelle. Une porte ouverte à courte distance à main gauche,
sur la table de la cuisine, une plaquette de quatre cachets bleus, des restes
de coco et une demi-bouteille de Saint-Georges en verre. Delia ne sait plus si
elle doit avancer ou non et l’indécision va la laisser précisément là où elle
est alors elle franchit largement le seuil jusqu’au milieu du salon et balance
sa chevelure du côté gauche.
– Tu
prends mes affaires ?
– Je
dois te fouiller, chérie.
–
C’est pas utile.
– Oh
que si.
–
Putain, Santu, pour qui tu me prends ? Pour une des pétasses soumises que
tu as au mur.
– Tu
ne veux pas ma réponse. Et c’est du kinbaku-bi. De l’art.
–
Sérieusement, je m’en branle. Si tu me fouilles, j’me casse et c’est tout.
Il
claque la porte intérieure derrière elle. Il sent qu’elle a peur. Elle est
impressionnée. Il est content. Santu passe un bras autour de sa taille et se
colle contre elle, place son sexe entre ses cuisses et lèche ses lèvres en une
fois. Comme un lion. Delia déteste qu’un homme lui bave dessus.
–
Qu’est-ce que t’as, là ?
– Un
serre-taille, pour mettre mon cul en valeur. Tactique.
Santu
prend sa main et l’invite à s’assoir sur le tabouret haut face au bateau. Delia
voit des passagers du bateau flâner sur le ponton. Elle pose délicatement son
sac sur la table basse et se hisse sur le tabouret
– Le
vitrage est filmé sans tain. Tu peux admirer la vue, te laisser baigner par la
lumière du jour, en toute discrétion. J’y passe des heures depuis que je suis
là.
– Au
point où j’en suis. Tu m’offres à boire ? J’ai soif.
–
Après tu iras aux toilettes.
– T’as
peur d’une douche à la pisse ? tente Delia qui redresse la tête.
–
Reste assise, ma belle. C’est mieux. Il n’y a rien à boire d’autre que de
l’eau. Et j’ai pris du Viagra. Pour durer longtemps, c’est mieux que la dope.
Delia
transpire, l’appartement est trop chauffé. Les tâches de sueur sur sa robe
pourpre s’étendent. Elle le sent sous son cuir qu’elle enlève et jette sur le
canapé. Elle se garde bien de poser des questions et attend que Santu la baise,
comme prévu. Il bricole près du téléviseur et lui montre l’écran d’un iPad.
–
Voilà ! Regarde.
L’écran
plat affiche quatre fenêtres, une vue de l’extérieur de l’immeuble, une vue du
palier d’étage, une vue entre les deux portes, une vue du salon. Sur l’iPad, il
ouvre une fenêtre qui affiche le film du salon sur le téléviseur. Delia regarde
le couple à l’écran, la fille résignée, le gars sec avec une bite de chien.
– Je
ne risque rien avec toi, hein ?
– Bien
sûr que non, surjoue-t-elle. Moi, je suis contente de te voir et, comme je te
l’ai dit au téléphone, ma famille s’excuse.
– N’en
parlons surtout pas, tu es là et c’est magnifique. Les affaires sont pour plus
tard.
Santu
s’agenouille devant elle et place les mains sur les genoux toniques de Delia.
Il repousse la robe, attrape le shorty. Delia se lève un peu sur ses jambes et
Santu fait glisser le shorty sur les chevilles, le renifle et l’envoie sur la
table basse. Il renifle ensuite les cuisses et s’approche du sexe de Delia qui
réprime un frisson. Santu ouvre les lèvres de Delia avec son nez. Delia pousse
un petit cri et se dégage.
– Tu
as peur ?
– Je
ne suis pas parisienne. Je n’ai peur de rien. J’ai juste hâte que tu me
prennes.
Delia
laisse penser qu’elle a peur en niant complètement. Sa mère lui a enseigné
quelques stratégies qui laissent croire aux hommes qu’ils sont les maîtres.
Elle est juste écœurée, en fait. Santu sourit.
– N’en
fais pas trop. Il ne faut pas. Avoir peur. Tu sais bien qu’on a besoin l’un de
l’autre, maintenant.
Il se
tait trente secondes, fourrant à nouveau son nez dans Delia.
– Et
les Parisiennes sont géniales comparées à toi, pintade. Je vais t’attacher,
murmure-t-il en lui attrapant le poignet.
Cette
fois, Delia le repousse et tombe du tabouret. La vélocité de Santu lui permet
de la saisir par les cheveux. Il amortit sa chute avant de la tirer en arrière
et de l’allonger sur le tapis. À genoux sur elle, il la frappe à main ouverte,
Delia ne voit que le sexe pendant au-dessus d’elle telle une troisième jambe,
effleurant la robe à chaque claque. Tandis qu’il se lève, elle racle le sol
pour s’enfuir à nouveau. La famille n’a qu’à se trouver une autre pute. La
chute et la volée qu’elle vient d’encaisser ont déréglé tous ses repères, elle
s’affale lourdement. Santu la retourne avant de la frapper à nouveau à coups de
gifles mesurées, à rythme lent.
– Ça,
c’est pour te rendre l’humiliation d’avoir préféré l’autre gros. Ça ira mieux
après.
Santu
stoppe sa litanie de baffes. Delia geint, elle saigne du nez. Des mains, elle
effleure son visage pour s’assurer que tout y est bien en place. Santu la tracte
par les aisselles pour la ramener au milieu du salon face au port.
– Tu
vas tacher mon tapis.
Il
déchire la robe dans le dos de Delia et la jette. Le voile pourpre ondule dans
l’air chaud du salon avant de se poser magnifiquement sur un coin de parquet
puis de s’étaler comme la nuit sur la beauté des femmes. Delia tente de se
tenir droite mais elle souffre. Son nez coule alors elle articule
« mouchoir » pour Santu qui lui ramène une serviette humide et
fraîche de la cuisine. Delia tamponne son visage pendant que Santu dégrafe le
soutien-gorge push-up.
– Il
faut les libérer ces seins. Ils seront bien plus beaux entre mes cordages.
– Sale
connard. Ne me fais plus mal.
– Tu
as eu ta dose, lui répond-il de la cuisine. Maintenant, tu te relaxes, chérie,
tu vas adorer. Tu me remercieras ensuite.
Elle
reste là, le nez gluant et les cheveux emmêlés. Ses gros seins pendent sur son
ventre. Elle parvient à se tenir droite pour leur octroyer leur vrai visage, la
paire de seins pleine et large qui a fait son succès auprès d’Ange-Marie la
première fois qu’ils se sont rencontrés. Sa mère les lui a offerts pour ses
seize ans. Elles sont allées à Nice ensemble pendant les vacances de Noël de
son année de première, discrètement, et l’été suivant Delia pétait les scores à
la paillote du Week-End. Delia sanglote et ravale tout quand Santu revient.
Elle fait semblant de soulager ses tuméfactions avec la serviette. Il
s’agenouille devant elle et avale un cachet de Viagra.
–
Qu’est-ce t’as, t’es impuissant ?
–
T’étais en retard, j’en ai pris un il y a plus d’une heure alors je double la
dose. Certaines filles sucent aussi bien qu’elles vipérinent, ça oblige les
hommes à tout faire pour tenir leur rang au concours de bites local. Vous
donnez d’un coup de langue et reprenez de l’autre. Non, dans mon cas c’est pour
mieux prendre mon pied, Delia. Et on sera quitte. Tiens.
Toujours
au sol, elle boit un peu au même verre et le pose à terre. Elle se console en
imaginant briser le crâne de l’allumette brune et nue qui se relève et bombe le
torse. Elle étouffe un petit rire entre sa morve et le sang dans son nez parce
que Santu la domine en faisant bouger son sexe. Sa mère lui a dit que ce
n’était qu’un mauvais moment à passer. Quelle abrutie. Si papa savait,
songe-t-elle. Mais il sait, bien sûr. Delia se sent très seule et très lâche.
– Tu
sais que la Corse est le département qui utilise le plus de Viagra ? C’est
prouvé, hein ! On ne peut pas tous être impuissants, quand même.
– Je
m’en fous, Santu, qu’on en finisse. Ne sers pas trop fort. Tu es sûr que
personne ne doit venir. Je ne veux pas qu’on me voie comme ça.
–
T’inquiète. Allonge-toi.
– Je
vais prendre un quart de Lexomil d’abord.
– Pas
besoin.
– À
chacun sa dope.
Delia
rampe et se relève en posant d’abord les genoux par terre. Debout à son tour,
elle soutient le regard de Santu et descend lentement sur son cou, s’attarde
sur son plexus et descend toujours jusqu’à observer le sexe de Santu, long,
droit, pointu. Le gland est rose très foncé. Il bande à mort. Il va lui faire
mal. Aujourd’hui, demain et dans un an. Elle le sait. Ange-Ma » avait un
sexe épais et rond, beige, pas trop long.
–
Dépêche-toi, souffle-t-il en saisissant les cordes avant de se replacer devant
la baie vitrée et le paquebot.
Elle
ouvre son sac et se tourne vers Santu. Il est à contre-jour. Les cordages
pendent à sa main gauche. Dans son dos, un horrible masque japonais tatoué
ouvre une bouche rouge et dentue qui se moque de Delia. La main dans le sac,
elle hésite entre la plaquette de Lexomil et le renflement dans la doublure
décousue. Choisir, franchir un seuil, être liée ou déliée. Elle n’a pas
l’habitude de réfléchir. Il va se retourner, elle verra ses yeux. Le masque
japonais bouge, Santu s’impatiente et s’étire. C’est interminable, ça dure dix
secondes. Delia prend le petit Glock 26 entre la doublure et le cuir du
sac, le pistolet qu’Ange-Marie n’a pas eu le temps de sortir de sa sacoche
quand Santu l’a fait abattre à la kalach ». Santu l’aperçoit dans le
reflet de la baie vitrée. Les regards se croisent. Il y a des passagers sur le
bastingage du Mein Schiff. Delia tire. Ange-Ma » lui a appris. La balle
perfore le cou de Santu quand Delia visait le cœur. Le double vitrage n’explose
pas quand la balle ralentie par la chair de Santu l’atteint. Une étoile se forme.
Les passagers vaquent. Delia ne voit rien. Elle sait qu’elle a touché Santu, la
détonation résonne encore dans son cerveau. Elle colle son dos au mur et heurte
une photographie d’Araki et attend que Santu se vide sur le tapis et arrête de
bouger. Il bande encore un peu. Ce n’est que ça, finalement.
Elle
essuie rapidement ses traces avec son boxer, récupère la robe déchirée et va
dans la chambre de Santu, se déchausse, enfile un jean qu’elle replie aux
chevilles, se rechausse, attrape une chemise blanche ajustée. Elle prend un
moment pour s’arranger, laisse ses cheveux partagés en une raie au milieu
tomber sur ses tempes et ses joues, les fait bouffer un peu. Pourquoi je ne me
presse pas ? Personne ne doit venir. J’ai tiré quand même. Oui, mais l’appart »
est blindé de partout et tout le monde se tait quand il y a un boum ici. C’est
toujours la mort qui appelle les pompiers. J’ai le temps qu’il faut à l’âme de
Santu pour déserter son corps et s’enfuir par l’étoile de la baie vitrée.
– Ça
va, Santu ?
Elle
le repousse un peu du bout d’une de ses richelieus vernis, récupère le disque
dur de la vidéosurveillance avec le boxer à la main, s’assoit sur le tabouret,
observe le sang très liquide de Santu avancer doucement dans le tapis. C’est
joli, ça ferait une belle photo sur Instagram, se dit-elle. Elle réfléchit à
nouveau pour ne rien oublier, descend du tabouret, met ses larges lunettes de
soleil et va à la porte.
– Tu
vois, je me rends compte qu’il n’y a qu’une chose qui compte quand on a
une vie de merde comme moi : les shoes, l’amour et la vengeance. Ça fait
trois mais tu t’en fous maintenant, hein.
Sur le
trottoir, Delia se noie dans la vague de touristes allemands qui retourne à
bord du Mein Schiff et appelle sa mère.