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mardi 25 octobre 2016

Trophée Anonym'us : Nouvelle n°7 "Elle et lui."

Petit rappel du trophée : C'est un concours de nouvelles crée par Eric Maravelias et Anne Denost . Cette année, il y a 27 auteurs (édités ou non édités) en compétition.
Leur mission: écrire une nouvelle de 20 000 signes sur le thème du polar ou noir. 
Les membres du jury (dont je fais partie ) liront ces nouvelles à l'aveugle.

Les auteurs :


Maud Mayeras – Olivier Chapuis – Danielle Thiery – Ghislain Gilberti – Marie Delabos – Colin Niel – David Charlier – Dominique Maisons – Sandra Martineau – Marie Van Moere – François Médéline – Ellen Guillemain – Cicéron Angledroit – Valérie Allam – Stéphanie Clémente – Gaëlle Perrin-Guillet – Anouk Langaney – Patrick K. Dewdney – Florence Medina – Michel Douard – Benoit Séverac – Loser Esteban – Jeremy Bouquin – Armelle Carbonel – Jacques Saussey – Yannick Dubart – Nils Barrelon - 

Nouvelle 1 : ici
Nouvelle 2 : ici
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Elle et lui.


Le rendez-vous était prévu au Salon du livre de Paris. Nouveau millésime ! Des

éditeurs, des écrivains et les visiteurs. C’était une grand-messe, un lieu voué au lectorat

de l’extrême. Sans eux, pas de roman, pas de romance, pas de polar. Rien, la fin du

monde. Dans la Ville lumière, étaient venus se côtoyer les fous et les surexcités de la

société livresque. Hors du temps et des haines politiques, un instant suspendu pour la

survie de l’espèce culturelle. Une fête célébrant la liberté d’expression en tout genre ;

l’interdire revenait à entrer en dictature. Ces hyperlecteurs s’y adonnaient à une danse

contre la nature barbare et pratiquaient un exorcisme de l’autodafé. Le livre y était

manipulé, humé, dévisagé. Les auteurs en étaient déifiés, promulgués comme des

nouveaux messies. Une religion sans dogme rédhibitoire, dans laquelle le mot était roi,

un corps caverneux dans lequel la vie coulait sans interruption. Bandant à souhait !

Isabelle se moquait bien de ces pédantes considérations.

Elle n’était pas venue pour les livres, mais pour se livrer. Elle se destinait à l’un de

ces écrivains, de ceux qui attendaient la plume à la main. Dans sa voiture, elle avait peur.

Cela faisait tellement longtemps qu’elle ne l’avait pas vu.

Elle avait fait le déplacement pour le toucher, pour émouvoir sa cible. Lui !

L’autoradio passait une chanson de Dalida "Il venait d’avoir 18 ans, il était beau..."

Elle venait d’avoir 18 ans quand elle était partie, quand elle avait tout quitté.

Elle était jeune et maintenant, elle se sentait si vieille. "J’ai mis de l’ordre à mes

cheveux, un peu plus de noir sur mes yeux..." Oui, ce matin elle avait pris plus de temps

pour se préparer. Saloperie de radio, toujours à réinjecter dans le quotidien les mélopées

dégoulinantes du passé !

Elle ne voulait pas le décevoir, depuis le temps qu’elle ne l’avait pas vu, depuis

qu’elle l’avait tenu dans ses bras pour la dernière fois. Leur première rencontre avait

donné le top départ de leur vie respective. Une vie qui avait dès lors commencé à pourrir.

Dieu avait craché sur leurs tombes qu’ils n’avaient plus fini de creuser !

Laszlo Dorian était de retour à Paris, un lieu qui lui rappelait des souvenirs.

Il y avait vécu dans sa jeunesse. La famille de son père était d’origine prolétaire,

de ces boulevards populaires. Ainsi, il était content de lui, fier d’être devenu écrivain.

Il avait trimé, comme ses ancêtres.

Il avait sculpté dans le papier les sueurs dégoulinantes de son talent, afin de sortir

de la misère et le résultat était là, palpable. L’hémoglobine l’avait délogé de la pauvreté.

Il était maintenant un brillant représentant du commerce du sang. Si son père

débitait des carcasses d’animaux dans l’arrière-boutique d’un boucher ainsi que des

coups à ses multiples maîtresses, lui, dépeçait des corps de femmes et ensanglantait des

pages blanches pour le plus grand plaisir de ses fans. Malgré les obstacles de la

violence, les aléas de la vie et de la mort, il avait survécu. Aujourd’hui, il était un auteur

qui promettait beaucoup d’après les critiques littéraires.

Il venait distribuer des signatures, vendre son âme d’artiste, se faire photographier

avec ses admirateurs, ces charognards de l’imaginaire. Son quatrième livre, un roman

noir comme les précédents, marchait très bien. Les lecteurs allaient sans doute venir

nombreux pour le rencontrer. Déjà, depuis l’ouverture, il avait fait pas mal de dédicaces.

Certains de ses voisins étaient plus prestigieux que lui. Cependant, il était déjà un peu

connu, sa carrière avait vite pris de l’ampleur et la fortune arrivait à grands pas. Laszlo

n’était plus un anonyme, usant déjà des ficelles miellées de la notoriété.

Il avait dans son collimateur ce romancier, Lazard Grimaud, un ancien policier qui

dégainait avec le même brio son stylo et son flingue. De l’autre côté de l’allée, il enviait la

foule qui attendait Adama Nesgravia, l’écrivaine qui extirpait chaque année de son

Montblanc 150 pages d’une mixture à faire défaillir les foules. La trentenaire à ses côtés,

quant à elle, était sympa comme beaucoup en général dans ces salons ; une auteure qui

faisait dans la romance érotique, histoire cucul et sexe nunuche. Il en fallait bien pour

tous les goûts !

Il les aurait tous tués pour obtenir une miette de leur succès et de leur richesse.

Encore une fois, seul l’écran de son clavier était éclaboussé de ces massacres virtuels.

Aucun courage, cela le minait.

Et puis il y avait les lectrices, celles qui adulaient les romanciers comme s’ils

étaient des rock-stars. Néanmoins, une visiteuse en particulier, allait se distinguer des

autres.

Il savait qu’elle avait hâte, qu’elle était en attente et surtout qu’il allait la décevoir,

la repousser. Pas uniquement pour le plaisir de lui faire mal... C’était plus que ça ! Elle

allait déguster au propre comme au figuré : cette salope allait maudire le jour de la

naissance de Laszlo le Magnifique. Et après cela, il savait qu’il serait délivré, qu’il pourrait

changer son mode opératoire.

Il avait des frissons dans le dos à l’idée de la briser ! Trop de douleurs lui

torturaient les méninges. Les souvenirs... Et pourtant ils avaient eu tous deux le bonheur

à portée de main. Si seulement...

Isabelle se remémorait les avertissements de ses copines. Elles lui avaient bien dit

de ne pas le laisser, comme ça, sans explications. Seulement elle ne les avait pas

écoutées.

Elle avait toujours eu soif de liberté.

Elle était de toute façon trop jeune quand elle avait croisé son regard la première

fois. Regrettait-elle son départ ? Non, pas vraiment.

Elle avait vécu comme elle l’entendait. Aujourd’hui, la cinquantaine approchant,

elle avait eu tous les amants qu’elle avait désirés. Aujourd’hui, la beauté s’éloignant, elle

avait eu tous les soucis qu’elle n’avait pas désirés. Son cœur était affaibli et meurtri, elle

espérait avoir l’extrême onction de Laszlo. Un dernier mot, une dernière caresse qui

effaceraient les coups du sort.

Elle attendait le pardon. Et pourquoi pas, un peu d’amour, encore, s’il n’était pas

trop tard ?

Elle accepterait toutes les tortures de sa part, elle lui offrirait sa pauvre carcasse

en pâture.

Elle comptait bien endurer les martyres décrits dans ses romans. Elle avait lu toute

l’œuvre de Laszlo Dorian, tout ressenti dans sa chair. Elle l’avait eu dans la peau de

chapitre en chapitre, incarnant son mal du prologue à la conclusion fatale.

Elle seule avait les clefs de son inspiration, savait pourquoi ces pauvres filles

morflaient dans ses fictions, elle avait conscience que c’était elle, la vraie victime, la vraie

coupable. Quand il écorchait sa proie aux creux des pages, elle en percevait les sévices.

Et elle aimait ça ! En redemandait comme une pénitente à bout de souffle, à bout de vie.

Laszlo ne savait pas à quoi elle ressemblait maintenant.

Il avait le souvenir d’une chevelure magnifique et des quelques baisers sur sa

nuque. Du miel qu’il avait cherché sur d’autres corps, auprès d’autres regards. Dans son

dernier bouquin, Isabelle se faisait étrangler après maintes morsures. Son héros en avait

bu le sang, la sève jusqu’à l’écœurement.

Il lui avait pris la vie à pleine bouche, au goulot, gloutonnement. Et à chaque page

écrite correspondaient des nausées.

Il n’arrivait pas à exorciser sa douleur.

Il craignait d’être saturé de crimes irréels. Pour cette raison, il lui avait envoyé une

invitation. Cette fois, il avait envie de concrétiser son aversion, ses amours défuntes.

Bientôt il allait engloutir celle qui personnifiait son fantasme depuis si longtemps. Sa

plume se tarirait peut-être, son talent s’écoulerait comme la vie de ce corps qu’il

manipulerait enfin.

Il ne pouvait plus continuer comme ça et devait trancher dans le vif sans penser

aux conséquences. Isabelle dont il avait si longtemps souhaité la chute allait arriver. Il

attendait d’admirer dans son regard l’effroi du rejet. Être vengé, l’anéantir comme dans

ses romans, la piétiner. En la contactant, il était resté flou, avait laissé un peu d’espoir

pour la voir tomber de haut. Cette Messaline symbolisait l’origine immonde, de son

monde d’errance...

Isabelle était terrorisée. Et ses talons qui claquaient maintenant sur le bitume du

parking, représentaient le compte à rebours vers le jugement, peut-être vers l’échafaud.

Condamnée, elle savait qu’elle allait succomber, son cancer se généralisait.

Elle attendait un peu de réconfort de celui qui lui avait laissé un espoir, dans une

lettre et au téléphone...

Elle tenait dans sa main moite le bijou pour entrer dans le cœur de cet homme,

elle allait s’en servir. « L’espoir fait vivre ! » De ce cliché, elle espérait donc une embellie,

un peu de temps en plus, du bonus, même si elle savait qu’au fond, elle ne le méritait pas

tout à fait.

Laszlo au Salon du Livre de Paris ! Un moment qu’il aspirait depuis que son

éditrice lui avait dit qu’il en serait un invité de marque.

Il regardait l’ensemble des exposants. Ces gens qui passaient leur existence à

écrire, qui se penchaient sur une page blanche et tentaient de construire une histoire. Le

plus souvent ils reconstruisaient la leur. Comme lui, dans son premier roman, qui déjà

martyrisait une jeune fille de 18 ans, cette pouffiasse se faisait maltraiter pour expier ses

pêchés. Alors, là, sur son stand, il signait, saignait en souriant.

Il se délectait de sa toute nouvelle renommée et du mal qu’il allait faire à cette

femme. L’attente était doucereuse.

Il se remémorait son parfum. Un mélange de jasmin et de fleur d’oranger, une

mixture qu’il reconnaîtrait n’importe où, n’importe quand. Un jour, dans une foule, il avait

suivi une femme blonde, exhalant la même odeur qu’Isabelle. Comme un chien, les sens

en alerte, il l’avait pourchassée et coincée dans une rue minable de Londres. Elle s’était

laissée embrasser, flattée de faire envie à un si beau gosse. Et au moment de l’avoir à sa

merci, alors qu’il allait entrer en elle, debout contre le mur, le corsage déjà lacéré, elle

s’était débattue. Elle s’était dégagée de ses mains qui voulaient l’étrangler, soudain

dégoûtée. Comme Isabelle qui l’avait repoussé ! Trop inexpérimenté, trop mou, il avait

échoué dans sa tentative de tuer cet ersatz d’Isabelle. D’où son premier succès littéraire,

d’où sa première victime sur tranche dorée, maintenue à sa merci à l’encre rouge. Une

tentative avortée ! Les prémices pitoyables de sa carrière d’assassin ! Une impuissance

livresque qu’il s’était juré de se faire pardonner. Jusqu’à ce jour, il n’avait jamais pu

réaliser ce dont il se sentait capable.

Il allait pouvoir la massacrer, aujourd’hui, en vrai, grandeur nature. Sa haine s’était

ravivée dès qu’Isabelle lui avait parlé, cette voix au téléphone comme l’élément

déclencheur qui allait le transformer en meurtrier. Son timbre si significatif avait tout remis

sur le tapis. Son excitation malsaine le terrassait.

Il était en manque, imperméable à toute compassion. Les dès était jetés et les

cartes ne demandaient qu’à se faire abattre. Il en tremblait d’avance. Il allait achever le

travail commencé des années auparavant. Bientôt la fin du jeu !

Isabelle essayait de garder son sang-froid, d’éloigner les paroles néfastes de cette

foutue chanson. Inlassablement, Dalida s’entêtait à lui instiller la mélodie du malheur.

« Quand il s’est approché de moi, j’aurais donné n’importe quoi... ». D’une démarche mal

assurée, elle s’approcha de la table de l’homme qu’il était devenu.

« Mon amour, mon seul véritable amour, que tu es beau ! » s’exclama-t-elle en son

fors intérieur.

« Il était beau comme un enfant... », susurrait perfidement la chanteuse au

subconscient d’Isabelle.

Doucement, elle glissa la petite médaille ornée d’un chérubin. Ce bijou, cadeau du

passé brillait d’un éclat particulier sur la couv’ vermeille du dernier livre de l’écrivain... Une

trace d’innocence sur le corps d’une jeune fille sanguinolente. La main virile et forte de

l’auteur s’en empara rapidement.

Odeur de jasmin, de fleur d’oranger, battements de cœur, frissons des

épidermes... Tout allait soudain trop vite, trop lentement...

Laszlo leva le regard sur Isabelle. Elle était vieille et fatiguée. Elle ressemblait à

une chanteuse des années 70. Du mascara coulait sous les vestiges de ses yeux bleu

azur. L’instinct du prédateur était pris au piège de sa victime. Une poigne invisible

s’agrippa au coup de Laszlo. Des gouttes de sueur perlaient au bord de ses longs cils

faisant écho à ceux de cette femme, là devant lui. Tout de suite, il savait qu’il allait

l’aimer, à nouveau. Ne plus infliger d’horreurs à ces pauvres filles sur papier glaçant.

— Maman !

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