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vendredi 16 septembre 2016

Trophée Anonym'us : Nouvelle n°2 « Chez nous ! »

Qui dit deuxième semaine du Trophée dit deuxième nouvelle ! 

J'ai trouvé que vous n'avez pas été très pipelet sur la première nouvelle....Et pourtant il y avait pas mal de choses à dire ...(Vous pouvez toujours donner votre avis : nouvelle 1)
Peut-être que celle-ci vous rendra plus bavard !
Souvenez-vous, nous ne connaissons pas l'auteur pour l'instant mais peut-être pouvez-vous deviner !
Attention, c'est parti, je vous laisse lire..




« Chez nous ! »

Alain la Masse Massia est seul au premier rang, juste derrière le chauffeur, il a besoin

des deux sièges. Derrière les vitres rectangulaires, il tire sur sa médaille de baptême, le

seul rappel de là­-bas, maintenant qu’Albert est mort.

La Provence file, déjà pelée.

La Masse l’appelait Albert. Et il continue, même quand il pense, aujourd’hui encore. C’est

dans ces moments qu’il lui manque. Son père savait toujours quoi faire. C’était déjà le

plus gaillard à la rivière. Avec ses peaux salées gros, ses bidons bleus aux couvercles

noirs, des bouffeurs de bronches à faire pâlir les Gitanes, et ses chariots qui empestaient

les menstrues, et les foulons qui s’ébrouaient sous le hangar en pissant la trempe au

chrome, et les rats obèses gavés de chair pourrie, et les gars, et les vapeurs d’Oran. Et

puis l’immense fabrique à souvenirs pour ceux qui restent, Albert, entre quatre planches

de sapin.

Albert.

Les vingt­-deux gosses chougnent comme un seul homme dans son dos. Les cinq du

dernier rang sont liés, bras dessus bras dessous. Ils chialent depuis le coup de sifflet

final. La douche y a rien changé. C’est Hicham, le pilier droit, qui pleure le plus. S’il y

avait une justice, la digue du cul sortirait de leurs poitrines en feu, ils chanteraient leur

gloire.

La Masse se sèche le crâne avec la serviette Crédit Mutuel que Myriam repasse le

vendredi, en même temps qu’elle repasse les maillots noirs et blancs de la

génération 2003 de l’US, la meilleure génération que la Masse a jamais entraînée depuis

qu’il a commencé avec les gosses au club, c’était vers la fin de l’été 89. Myriam le fait le

vendredi. Elle garde que Gaëlle et Meyel ce jour­-là, la maman de Gaëtan bosse pas, ils

l’ont mise aux quatre­-vingts pour cent au centre de tri postal, sans rien qu’elle demande,

elle a plus besoin d’Ass­mat. Le rituel, c’est poisson le midi, maillots après.

Myriam met moitié moins de temps depuis Noël, depuis qu’Alain lui a offert la centrale

vapeur, la grosse Auto­control de chez Calor, celle avec le réservoir rouge. Jamais elle

met plus de deux heures, lavage compris, même l’hiver quand les terrains sont boueux.

Elle se fait ses petits records, Myriam, et quand c’est vent du Nord, les maillots sentent le

colin.

La Masse s’éponge sans trop se frotter les yeux. Le reflet du micro sur le pare-brise

attrape son regard, traverse ses larmes chaudes qui lui font gonfler les paupières au lieu

de lui couler sur les joues.

C’était écrit.

Il en dort plus depuis le dimanche soir. Nîmes est peut-­être plus près que de Toulon,

mais le stade Kaufmann, sur le symbole, c’est la Méditerranée. Et on se fait toujours

baiser par le comité, ou par la fédé, ou par les deux, et le match à 15 h, avec la fermeture

des bureaux de vote à 18, c’est juste pour emmerder les gens comme lui. La Masse a

quand même glissé son bulletin dans l’urne à l’ouverture des bureaux. Il a rempli son

devoir, un peu comme s’il montait au front pour sauver l’honneur de la patrie, avec son

sang d’Algérie. Parce que Flanby ou Marine, c’est plus de la politique, c’est de l’histoire,

et que la France, c’est la France.

C’était la quatre-­vingt ­troisième. Sur le champ de bataille, les gosses mènent 11 à 6

contre le Toulon de Mourad Boudjellal. L’arbitre siffle la quatrième pénalité d’affilée pour

les sangs chauds de la rade. Ils sont allés le dégoter dans les Midi­-Pyrénées, cet enculé

d’arbitre. La tribune est garnie de parents, d’amis, de dirigeants, de frangins, de frangines

des autres générations. Sur la braille, Toulon, c’est plus ce que c’était. La tribune beugle.

On est chez nous !

On est chez nous !

On est chez nous !

Le ballon arrive dans les mains du grand black, l’ailier du RCT, il est face au Titou, le fils

à Bernard Mazetier, un gosse de poche qui n’a peur de rien, même pas de son prof de

mécanique au Grand Tech.

En un contre un.

Les hou­hou­hou­hou dégringolent de la tribune. Quelques cris de singes sourdent de la

huée. C’est pas tous les jours que l’US dispute une demi­-finale de championnat de

France ! Le dernier sacre en cadets remonte à 89, justement. Et le black crochète Titou,

et il galope vingt-­cinq mètres, et il aplatit entre les poteaux.

L’arbitre attend pas la transformation puis il retrouve quand même ses esprits. C’est la

foire de partout pendant que le ballon passe facile entre les perches. Ça se marave en

tribune, ses gosses ne tiennent pas leur finale.

Vingt-­deux morts de faim, les rois du déblayage en planche, peut­-être moins talentueux

seuls, mais tellement plus solidaires, qu’ils mettent la tête où personne mettrait jamais le

petit doigt, juste pour aller au soutien d’un copain, juste parce qu’ils crèveraient pour

honorer leurs maillots, et tous ceux qui ont revêtu la tunique, pour rendre sa fierté à tout

le patelin.

Et la putain de roulette en bois qui virevolte dans son nid de métal et détraque les cœurs.

Et ce putain de destin.

Les fines guibolles de la Masse soulèvent sa carcasse et son quintal quand le car

dépasse le péage et sort de l’autoroute. José, le soigneur, a les yeux tout bouffis, rouges.

Il a glavioté sur l’arbitre. Si la Masse s’était pas interposé, il l’aurait tabassé. Y aura

rapport, sûr. La Masse fait glisser sa paluche droite sur l’épaule de José, celle avec le

majeur montagnes russes, mais l’autre a encore le regard méchant et trop de rage dans

la tête. La Masse se cale dans l’allée centrale. Il se racle la gorge, allume le micro, débite

que les victoires sont peut­-être plus belles que les défaites, mais que le temps de la fête.

Il se calme, inspire à fond, martèle que le match servira toute la vie, que la mémoire les

réveillera quand ils auront son âge, qu’elle leur fera oublier le mal de dos. Ça fait sourire

Toto. Sur le pré, il porte le numéro 6, il est rarement à distance du cuir, mais il est pas là

pour le toucher. C’est un pourrisseur né, sa mère a mis quarante et une heures pour

l’expulser. Toujours à la limite, à ralentir le mouvement, à casser les pénétrations, à

plaquer stratosphérique, à gratter minimum cinq, six ballons par match. Le micro étouffe

la voix de la Masse qui a l’air de sortir du paquet de cotons planqué dans la boîte à gants.

­ — On avait prévu d’aller manger les saucisses chez moi, et boire un coup. Si

vous voulez pas, je comprends, mais l’invitation tient toujours.

­ — On vient tous, y’a pas de raisons qu’on vienne pas, rétorque Matéo, il est vers

le fond. C’est toujours lui qui parle. C’est pour ça qu’il est capitaine.

­ — Alors on change rien !

La morve remonte dans les cloisons nasales, coule dans les gorges. Les sanglots

d’Hicham font bruisser la rancœur dans le silence, cognent les vitres, rebondissent dans

le car comme des boules de billard qui se cherchent une destination.

­ — Aujourd’hui, je vous le dis, vous êtes des hommes ! Personne ne vous le

volera jamais, ça, jamais, putain.

Les gosses acquiescent à retardement. Ils sont d’accord avec Matéo, pas avec le laïus

du coach. Le monde a tué leur rêve. C’est à cause du fric, de Mourad le millionnaire, du

grand Noir de Massy, que la famille a touché du blé pour qu’il intègre le centre de

formation du RCT, tout le monde le sait, même que son père a muté à la mairie de

Toulon, comme par hasard...

La Masse se rassoit. Cette fois, il pleure.

Le car finit par entrer dans la ville, il a mis trop de temps pour arriver là, puis il remonte le

boulevard au ralenti jusqu’à passer entre le Mac Do et la cité, là où ils vivent. Le car a

déjà pris des jets de cailloux, mais pas cette fois. Une troupe de gamins tout en sueur est

occupée à taquiner le ballon rond, devant la pharmacie, sur le parking du centre

commercial. Le numéro 10 floqué Zlatan fait des siennes, roulettes et tout. Juste avant le

rond­point, un jeune barbu en djellaba se déhanche sous le soleil, ses espadrilles

semblent coller au bitume ramolli du trottoir. Ça fait sortir la Masse du brouillard et il

discerne un Porsche Cayenne garé sur le parking, devant la façade du dernier bâtiment,

le vitré, celui que la mairie vient de refaire.

Le car fend la zone industrielle, il passe le Gifi et le centre Leclerc, tous les grands

entrepôts en tôle ondulée, puis il contourne le village où vit la Masse par la déviation,

celle construite par le Conseil général au grand dam des commerçants, mais ça devenait

dangereux la traverse du bourg, surtout avec les mongoles du tuning, et les barlus, même

que les gendarmes allongés servaient surtout de piste de décollage aux scooters. Le

lotissement Les coquelicots est planté tout contre la déviation. Quarante lots timbre ­poste

alignés sur un ancien champ de maïs, le terrain qui appartenait au neveu de la cousine

du premier adjoint. La maison d’Alain et Myriam dénote : c’est la seule avec les moellons

du muret de clôture crépis. Les autres proprios ont préféré investir dans la piscine hors-
sol, le barbecue à gaz et aux roches volcaniques, se payer un peintre plutôt que de

tapisser eux­ mêmes le salon.

Les gosses récupèrent leurs sacs de sport dans les soutes à bagages, la Masse les

précède et file par­ derrière. Il entre dans la cuisine par la baie vitrée entrouverte. Myriam

citronne le taboulé dans le grand saladier vert, elle est de dos, le four ventile avec la

quiche au thon dedans. La Masse lui pose un baiser entre deux bourrelets de cou.

Myriam fait une moue embêtée, elle hausse les épaules. Il dit que c’est la vie et jette le

sac à maillots dans le cellier. Elle fait toujours ça quand ils perdent. Lui aussi, même

quand ils gagnent.

Dans le salon, la Samsung LED 3D de cent­-vingt et un centimètres est allumée. La

Masse a déjà payé les deux premières échéances du trois fois sans frais de chez Darty.

Julien Dray livre son commentaire sur le taux de participation, le plus faible de toute

l’histoire de la cinquième république pour un second tour de présidentielles. 61,9 %, pire

qu’en 1969. Gilbert Collard est goguenard. Quand Dray dit que sur les 12 % de

Mélenchon, il n’y a aucun problème, Collard l’interrompt :

— Il n’y a pas que des intellectuels sur diplômés, des anarcho-­communistes ou des bobos

qui ont voté Front de gauche, monsieur. Les quelques ouvriers se sont massivement

reportés sur Marine Le Pen, vous verrez bien.

Dray continue comme si de rien n’était, genre papotage du salon de thé. Il dit que la clé

du scrutin, c’est pas les 14 % de Juppé au premier tour, majoritairement des citoyens

attachés à la démocratie et à la république, mais bien les 18 % de Sarkozy. Fabius

explique qu’il y a un fossé entre les électorats des deux droites, un abysse qui s’est

d’autant plus creusé depuis le vote des primaires, quand tous les instituts de sondage

annonçaient Juppé vainqueur à 60 % et qu’à l’arrivée c’est Sarko qui a gagné à 51 à 49.

Collard marmonne :

— Le cirque des primaires est à l’image du pays : c’est bonnet blanc et blanc bonnet,

corruption à tous les étages, mises en examen et compagnie. Avant ils ne volaient que

les honnêtes gens, maintenant ils se volent aussi entre eux. La justice est saisie, mais la

majorité des gens pensent qu’il y a eu vol, un vol massif. Les Français n’en peuvent plus

de ce système, le système dont vous êtes d’ailleurs l’un des représentants les plus

inaltérables, monsieur Dray.

Quand il dit « inaltérable », Julien Dray a un sourire sur le côté, comme s’il se sentait

flatté. Collard lui met un dernier tacle et se marre. Bernard Mazetier se lève du canapé

pendant que Dray affirme qu’avec les 22 % du premier tour, Hollande devrait en théorie

gagner avec plus de 60 %, mais que le drame de la démocratie, c’est les 40 %

d’électeurs qui pourraient avoir voté Marine Le Pen et les 40 % de gens qui ne se sont

pas déplacés aux urnes. Les carrelages en gré lui refroidissent la voûte plantaire. Dray dit

que l’heure est grave, que l’alerte du 21 avril 2002 n’a pas été entendue et qu’il faut

désormais prendre le taureau par les cornes, régler durablement la question du chômage,

celle des quartiers, que ça passe forcément par l’Europe. Collard réplique :

­ — Vous êtes l’incarnation de l’Europe islamophile de la finance, celles des

carnassiers et des technocrates, des assassinats salafistes, l’Europe des Kamikazes

d’Allah, les équarrisseurs de curés, l’Europe des hordes de migrants, l’Europe qui n’aime

pas ni son histoire, ni les frontières, ni le peuple, qui l’opprime, ce peuple qui n’en veut

pas, qui n’en a jamais voulu, et qui l’a dit à chaque fois qu’on lui a demandé, en Irlande,

en France, au Danemark, en Grèce...

Dray le coupe en souriant :

— C’est inexact Monsieur Collard, vous le savez très bien. Les Irlandais (...)

Bernard baisse le son et se taille dehors, pieds nus, en lâchant :

­ — Ils disent ça depuis 30 ans. Putain de voleur qui nous explique la vie...

La voix de Myriam arrive de la cuisine :

­ — Tu peux débarrasser la table du salon, Biquet ? Je voulais pas brasser tes

papiers.

La Masse fait un tas des commandes de la semaine. Il glisse la liasse dans son cartable

en cuir pendant que Bernard sort sur la terrasse. La semaine a pas été terrible. Le

directeur des ventes va encore lui casser les noix dès le lendemain matin. C’est un blanc-
bec bardé de diplômes qui vient de chez Saunier­ Duval, les gars l’appellent la Chaudière,

ils le soupçonnent d’être pédé. Il l’a toujours sur le râble. Ça a commencé avec le logiciel,

ça a continué avec les frais de resto, puis les remboursements kilométriques. La Masse

fait dans la fourniture de bureau, pour une boîte de Clermont-­Ferrand, Kalipro. Son

secteur, c’est trois départements, dont le 84. Il se sort 2 100 € mensuels en moyenne,

variable inclus. C’était mieux quand c’était le père Arthaud, mais le vieux a vendu la boîte

aux Hollandais et les Hollandais ont renouvelé les commerciaux, et tous ceux qui avaient

plus de quarante-­cinq ans sont restés sur le carreau. La Masse a peut­-être qu’un fixe de

1 350 €, mais il est pas au chômedu, alors que Thierry, son ancien collègue, celui de

Montpellier, ça dure depuis bientôt deux ans. Il arrive à gratter 200 € sur les frais, mais

c’est de plus en plus compliqué, à cause de l’informatique et de la Chaudière. Mais la

Masse paie ses impôts, plus d’un mois et demi de salaire avec ce que ramène Myriam.

Ça le fait râler, surtout avec tout ce gaspillage, et tous les profiteurs, mais ça le rend fier,

il en a dans les tripes, c’est pas une serpillère, il peut se regarder dans la glace. La

Masse pense comme Albert. La solidarité, c’est ce qu’y avait de meilleur, mais il aurait

fallu que tout le monde soit recta, sinon, ça part toujours en cacahuète vite fait, et c’est

donc parti en cacahuète, sans parler des autres. La Masse se marmonne à lui-­même :

­ — Plus qu’un quart d’heure et on saura.

Ses claquettes traînent devant lui et l’emmènent dans le jardin. Les parents sont tous là.

Le père d’Hicham se met à pleurer quand les gosses pénètrent sur la pelouse au compte-
goutte et sous les applaudissements. Il applaudit plus fort que tout le monde, et plus

longtemps. Il est Marocain, c’est un type bien, il élève ses quatre filles et Hicham à la

dure. Il travaille chez Metro et sa femme fait des ménages. Il est passé à la télé pour les

premiers attentats, ceux de janvier 2015, sur la Une, vingt ­et ­une secondes.

La Masse et Bernard alignent trois séries de gobelets chacun. C’est boisson unique, mais

Myriam a prévu du jus d’orange pour les femmes qui aiment pas le Ricard, et du Coca

pour les mineurs. Ici, on est majeur à quatorze ans question jaune. La Masse et Bernard

fourrent leurs paluches dans la glacière préparée de la veille. Les gestes sont sûrs, ils

savent faire. Les glaçons giclent comme les marrons qu’ils distribuaient quand ils étaient

deuxièmes lignes de l’équipe première au début des années 80. C’était l’époque où l’US

était en première division, quand les tanneries et les usines de chaussures n’avaient pas

encore fermé. Aujourd’hui, il y a un musée international de la godasse en ville,

principalement visité par les écoliers du coin, histoire que les gamins s’interpellent de ce

qu’étaient leurs ouvriers de pères et leurs piqueuses à la machine de mères. Avec

l’équipe 1 en Fédérale, même les tribunes du stade font trop grandes. Surtout depuis

qu’ils ont fusionné le club avec l’ennemi, le VS. Les usines sont restées là, on sait pas

trop pourquoi, parce qu’elles sont vides. Ils ont fait des appartements dedans, des fois. Et

il reste qu’une seule tannerie, celle où bossait Albert, elle fait dans le luxe, Hermès,

Vuitton, des sacs à quatre ou cinq chiffres que les gens peuvent pas acheter, sauf les

Japonais et les riches. Les gens disent que tout ça c’est à cause des Chinois, mais les

patrons ont délocalisé les usines au Portugal ou en Espagne avant de les couler. Les

niaquoués ont bon dos comme dit Bernard.

Pas un glaçon rate la cible et les doses de Ricard de Bernard sont finalement servies

avant celles de la Masse. La Masse a aussi pensé à congeler des bouteilles de Cristaline

remplies à moitié d’eau du robinet. La flotte glacée se trouble en même temps qu’elle

cascade dans les gobelets. Ça y est, les soixante jaunes tremblotent sur la planche en

bois, entre deux tréteaux, et chacun son gobelet. Myriam débarque avec des grands

plateaux de pizzas. Les gosses bâfrent les chips. Les mères filent dans la cuisine, long

chapelet de bonnes femmes qui adorent se voir pour mieux poudrer celle qui manque, et

il en manque toujours une, et c’est jamais la même. Jojo est d’astreinte barbecue. On

change pas une équipe qui gagne, même si, aujourd’hui, ils ont perdu. La fumée des

merguez et des chipolatas lui remet bizarrement les idées à l’endroit.

C’est à la quatrième tournée que Bernard fait signe à la Masse. Quand ils entrent dans le

salon, c’est la gueule de Pujadas qui irradie sur l’écran et la Masse appuie sur la touche 1

de la télécommande Freebox. Les autres s’en foutent, ils s’envoient un cinquième Ricard,

c’est plus important que tout ce cirque, ça a une influence positive sur leur vie.

Laurent Delahousse annonce qu’on saura le nom du futur ou de la future Présidente de la

République dans moins d’une minute. La Masse l’aime pas trop. Il aimait bien Claire

Chazal, elle était blonde, comme Myriam. Et ça avait pas l’air d’être vrai, comme Myriam

aussi. Puis c’est le décompte.

Cinq, quatre, trois, deux, un, zéro.

La tête d’abruti de Hollande, avec son sourire Averell qui a réussi à être premier de la

classe.

Myriam se tient derrière, vers la porte du couloir qui distribue les chambres et la salle

d’eau. La Masse l’a pas vue.

­ — François Hollande est réélu Président de la République.

Bernard dit :

­ — Regarde­-moi ça comment il est content, l’autre, non, mais regarde ça.

Bernard ajoute :

­ — 56,2 %. C’est pas possible ! Pays de merde. Dans dix ans, on sera plus chez

nous !

La Masse dit :

­ — Ça fait longtemps qu’on y est plus, de toute façon. On a perdu dans la tête. Ils

commencent par là, pis les ventres et ils finissent par la terre.

La Masse souffle :

­ — Des fois, je suis content qu’elle soit morte.

Il se tourne et Myriam s’est rapprochée. Elle le gifle. Un réflexe. Elle sait pas trop si c’est

à cause de ce qu’Alain a dit ou des 56,2 % qui ont préféré avoir bonne conscience. La

mort subite du nourrisson remonte à fin 88, elle avait pas trois mois. Séverine s’est pas

réveillée dans son sommeil. Pourtant, Myriam avait ligoté un gros réveil à un barreau du

lit.

Tic. Tac.

Myriam pense pareil que La Masse, mais elle sera mère toute la vie.




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